Les complicités involontaires by Bauer Nathalie

Les complicités involontaires by Bauer Nathalie

Auteur:Bauer, Nathalie [Bauer, Nathalie]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature française
Éditeur: Philippe Rey
Publié: 2017-05-14T22:00:00+00:00


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Mémo no 6

1939

Au cours des derniers mois, Simon a cessé de mettre en garde les siens contre les dangers qui les menacent : il est las des haussements d’épaules de Charlotte, trop occupée, pour lui répondre, par les spectacles, pièces de théâtre et films auxquels elle assiste de plus en plus volontiers en son absence, peut-être en compagnie du journaliste dont la veille encore il lui a semblé entrevoir les initiales sur une carte de visite qu’elle a escamotée de sa main embijoutée ; las des soupirs des K., en général, si bien entraînés à nier la guerre qu’ils sont persuadés qu’elle n’aura pas lieu, comme la plupart des Français, d’ailleurs, malgré l’invasion de la Bohême et de la Moravie en mars et la signature du pacte de non-agression germano-soviétique le 23 août, soit deux jours plus tôt ; las des « oiseau de mauvais augure », des « prophète de malheur », des « pessimiste » qu’ils lui adressent avant de tourner la tête vers un visage, un tableau, un bibelot où fourrer leurs yeux. Oui, de tous les K., à une exception près, pour dire la vérité : Félicie, la matriarche, qui le dévisage, inquiète, quand il lui parle en tête à tête, à l’issue des repas qu’elle s’obstine à organiser comme si de rien n’était, lui lançant « Vous croyez ? », « Vous êtes sûr ? », « Vraiment ? ».

En ce 25 août, elle a invité ses enfants et leurs conjoints à dîner, au dernier moment, comme si elle avait une annonce à leur communiquer et pas de temps à perdre, et les voici tous réunis (à l’exception de la femme de Pierre, au chevet de leur fillette souffrante) dans l’appartement de l’avenue Niel, autour de la table dont l’accès est interdit à ses petits-enfants après l’heure du goûter. Il est tard de toute façon, et les gosses dorment dans leurs lits respectifs, peut-être après avoir lu – pour Claudi, c’est certain – une histoire de Strubelpeter, ainsi qu’on appelle en alsacien ce petit Allemand auquel on les compare lorsqu’ils sont ébouriffés, même s’ils n’ont pas les ongles en forme de serres. Ces contes du XIXe ont beau être cruels, et eux trop grands pour les lire désormais, ils s’emparent inlassablement de l’ouvrage au moment du coucher, parce qu’il leur donne l’impression de connaître, de maîtriser, d’anticiper. L’ayant écouté et parcouru mille fois, ils savent que Kaspar maigrira et mourra pour avoir refusé de manger sa soupe quotidienne, que Pauline sera réduite en cendres après avoir joué avec des allumettes malgré l’avertissement des chats, que Konrad verra le tailleur surgir et lui couper les pouces pour le punir de les avoir sucés en dépit de l’interdiction maternelle. Oui, parce qu’ils possèdent ce savoir-là, ils ne souffrent plus – ou presque – de la férocité de ces histoires, voilà une leçon qu’ils pourraient enseigner aux adultes. Mais qui a dit que les adultes étaient prêts à entendre les leçons, celles des enfants et de l’Histoire, celles



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